« Pourquoi avons-nous ce réflexe de ne voir que ce qui ne va pas chez l'autre et comment en sort-on ? »
J.S. : Il faut savoir que pendant des millénaires, la culture judéo-chrétienne a censuré l'expression personnelle. Il est donc très difficile de parler de soi, d'exprimer ses sentiments réels, son ressenti, de dire : "Je suis en colère contre ton retard, ou contre ton attitude avec les enfants" ou encore "je n'aime pas grand père ou l'ami de la famille qui me serre un peu trop dans les coins !". Etant issu de cette culture, nous n'avons pas d'autre ressource que de parler sur l'autre en lui disant : "Tu as vu, tu es encore en retard, tu es trop dur avec les enfants, grand père est méchant...". Comme je ne sais pas reconnaître ce qui se passe en moi, je n'ose pas parler de moi et je n'ai donc pas d'autre ressource que de parler de l'autre.
Communiquer c'est avoir la capacité de demander, de donner, de recevoir et de refuser. Le problème, c'est que, pour la plupart d'entre nous, on ne sait pas demander. On demande en faisant des reproches. Pour demander d'être entendu par l'autre, on lui dit : "Tu ne m'écoutes jamais", au lieu de lui dire : "J'ai besoin d'être entendu". Comme on ne sait pas se dire, on met l'autre en accusation (*)
Pour en sortir, il faut faire ce que l'on appelle un travail sur soi. Avoir l'humilité de se reconnaître comme un infirme de la communication et accepter de changer. Ni accusation, ni auto-accusation, mais responsabilisation. »
Jacques Salomé
(Extraits d'une interview dans le n°90 du journal REEL)
(*) Note personnelle :
"Comme on ne sait pas se dire, on met l'autre en accusation..." et en jugement ! "Ce n'est pas bien ce que tu fais là", "ça ne se fait pas"... Pour un enfant, c'est terrible, car il en retiendra qu'il est "mauvais" et s'identifiera à cette image négative de lui-même. Tandis que s'il comprend que ce qu'il a dit ou fait a simplement mis en colère ou attristé ses parents, il commencera à apprendre à respecter autrui dans sa façon différente de voir et ressentir les choses, sans être atteint dans sa valeur intrinsèque et dans la construction de son équilibre psychologique personnel (dont on voit sinon les ravages à l'adolescence ou à l'âge adulte). Si l'on élargit cette vision à toute relation humaine, il n'y a plus de jugement moral à avoir sur quoi que ce soit - qui ne caractérise alors que notre cécité intérieure, notre incapacité à être en contact avec nous-même - mais simplement à exprimer ce que l'on ressent, que ce soit positif ou négatif, pour que l'autre se positionne en conséquence et en conscience (et c'est là qu'est sa responsabilité). -